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30-1-2013 à 20:04:02 |
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Après avoir travaillé sur Doom 2, Quake et Quake 2, American McGee s'est fait un nom en proposant une version sombre et dérangeante d'Alice au Pays des Merveilles. Aujourd'hui à la tête du studio Spicy Horse, McGee continue d'explorer les contes de fées. Après plusieurs jeux tirés des contes de Grimm, le voilà de retour avec Akaneiro : Demon Hunters, librement inspirés de Petit Chaperon Rouge et du folkore japonais.
jeuxvideo.com > Lorsque les joueurs entendent le nom American McGee, ils pensent instantanément aux jeux Alice. Et puisque vous avez également créé les jeux épisodiques Grimm, vous êtes désormais connu comme "le type qui fait des jeux inspirés de contes de fées". D'ailleurs, votre nouveau jeu Akaneiro : Demon Hunters est inspiré par Le Petit Chaperon Rouge. Qu'est-ce qui vous attire tant dans les contes ?
American McGee : Les thèmes abordés par les contes de fées marchent bien pour capturer les facettes élémentaires de la condition humaine. Et les histoires tournent souvent autour d'événements fantastiques impactant la vie de tous les jours de personnages normaux. Avec ces éléments, tout est réuni pour fournir aux joueurs une parfaite invitation dans des aventures fantastiques qui semblent en même temps familières et surnaturelles.
En matière de jeux, je pense que nous commençons à peine à gratter la surface de ce que nous pouvons faire dans la manière de raconter une histoire et d'adapter sur mesure la narration à chaque joueur. En commençant avec les contes de fées, nous bâtissons sur des bases familières – permettant à notre audience d'être plus facilement plongée dans les concepts de l'expérience.
jeuxvideo.com > Le lien entre Akaneiro et Le Petit Chaperon Rouge semble un peu obscure. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le jeu ?
American McGee : L'inspiration pour l'histoire vient du livre que j'ai lu "The Lost Wolves of Japan". C'est le récit historique de fermiers occidentaux décimant les loups dans les îles du nord du Japon afin de faire de la place à l'industrie bovine. Avant leur arrivée, les Japonais vivaient plus ou moins en harmonie avec la nature, beaucoup d'entre eux étant des bouddhistes végétariens. La guerre menée par les envahisseurs occidentaux n'était alors pas simplement contre les loups, mais contre la connexion entretenue avec l'esprit de la nature.
Dans le conte du Petit Chaperon Rouge que nous, occidentaux, connaissons, le loup est le méchant ultime, prêt à dévorer le chaperon et sa grand-mère qui seront ensuite sauvés par le bûcheron et sa hache.
Avec Akaneiro, nous pouvons explorer les thèmes de l'homme contre la nature à travers le prisme d'un conte de fées sinistre où la réalité se mélange au fantastique. Tout cela est transposé dans un action-rpg avec ce que le genre propose de mieux dans le design de classes, combiné à une direction artistique réellement spectaculaire inspirée par les illustrations traditionnelles japonaises.
jeuxvideo.com > Alaneiro est actuellement en phase de bêta et sortira à la fin du mois. En parallèle, il y a aussi une campagne Kickstarter pour aider à porter le jeu sur Linux et tablettes, pour ajouter du coop multijoueur et pour améliorer plusieurs autres aspects du jeu. C'est assez inhabituel de se tourner vers Kickstarter pour un jeu déjà prêt à sortir. D'ailleurs, la réponse timide des joueurs (50% des fonds promis avec seulement 6 jours restants au moment de l'interview) montre une certaine incompréhension autour de cette campagne. Les joueurs semblent réfractaires à soutenir un projet déjà prêt à sortir. Etait-ce un risque que vous aviez envisagé avant de vous tourner vers Kickstarter ?
American McGee : Puisque nous sommes un petit développeur indépendant, nous ne nous sommes pas tournés vers Kickstarter pour simplement obtenir le support financier et atteindre les objectifs que vous mentionnez, mais également pour obtenir l'exposition médiatique qui en découle dans la presse et auprès des joueurs. Avec le jeu prêt à sortir, le vrai risque se trouve dans les objectifs présentés aux backers sur Kickstarter – sont-ils intéressés par un portage Linux ou par du coopératif ? Cette campagne leur permet de s'exprimer sur ces choses. En dehors de cela, la campagne donne aussi accès à de rares objets pour le jeu mais aussi à de vrais objets.
jeuxvideo.com > Quel est le plan de secours si la campagne Kickstarter n'atteint pas son objectif ?
American McGee : Le plan B est de diviser l'équipe de développement en deux : une partie restera sur Akaneiro pour fournir un support continu, mais à un rythme plus lent pour le nouveau contenu et les nouvelles fonctionnalités. L'autre moitié de l'équipe devra avancer et développer un nouveau jeu. Ce plan B était en fait notre plan initial depuis le début 2011. C'est Kickstarter qui nous a finalement donné un nouveau plan : celui de garder l'équipe concentrée sur Akaneiro pour fournir du contenu plus vite tout en donnant aux backers le contrôle sur l'ordre de priorité des choses à faire.
jeuxvideo.com > Pour rester sur le sujet, y a-t-il des chances que Kickstarter puisse aider à remettre sur les rails le projet d'adaptation d'Oz sur lequel vous avez travaillé il y a plusieurs années ?
American McGee : Si la campagne actuelle réussit, nous réfléchirons alors à d'autres idées que nous pourrions soumettre sur Kickstarter. Oz est fréquemment mentionné – de même que l'idée de racheter les droits d'Alice à Electronic Arts. Nous avons beaucoup appris avec la campagne actuelle et nous espérons appliquer les leçons tirées la prochaine fois. Si cette campagne ne marche pas, il y a peu de chance de nous voir répéter quelque chose d'aussi radical à l'avenir. Cette campagne aura beaucoup d'impact sur notre futur.
jeuxvideo.com > Ordinateurs, téléphones, tablettes, PlayStation Store, Xbox Live, eShop, sans oublier Ouya, Project Shield ou les Steambox... Le marché du jeu n'a jamais été aussi diversifié. Alors que plus d'espace est donné aux jeux indépendants, il semble aussi plus difficile d'attirer l'attention des joueurs au milieu de tous ces jeux. En tant que responsable d'un studio indépendant, comment jugez-vous ce marché ?
American McGee : Je pense que nous entrons dans un nouvel âge d'or pour le développement de jeux, le design, le marketing et la distribution. Ce qui m'excite beaucoup, ce sont les points vers lesquels convergent toutes les machines et plates-formes que vous venez de citer – comme le fait d'être toujours connecté, les boutiques de contenus digitaux, la communication instantanée et constante entre joueurs, les fonctionnalités sociales plus poussées dans le game design, et les nouvelles possibilités pour les développeurs de gagner de l'argent avec leurs idées. Il ne s'agit que de la partie visible de l'iceberg. Je m'attends à ce que nous voyons encore naître de nouvelles formes d'interfaces utilisateurs au milieu de toutes ces autres évolutions de matériel et de connectivité. Les choses comme l'Oculus Rift ou les Google Glasses sont en train d'ouvrir la porte à de nouvelles façons d'interagir avec nos jeux et avec le contenu digital en général. C'est là que nous devrions voir naître de vraies innovations dans le game design.
jeuxvideo.com > Qu'est-ce qui vous intéresse particulièrement dans les nouveaux systèmes à paraître ? Y a-t-il une machine en particulier que vous attendez ?
American McGee : Mon intérêt est principalement porté sur les réductions constantes des processeurs et de la consommation mémoire, combinées à du matériel alternatif (comme Oculus). Imaginez la possibilité de brancher un affichage HD avec à un monstre de puissance processeur, avec des téraoctets de mémoire, et une connexion sans fil ultra rapide. Vous seriez capable de vous transporter à n'importe quelle période de n'importe quel lieu imaginable – alors que vous êtes simplement assis dans le métro entre l'aéroport CDG et Paris.
jeuxvideo.com > Votre studio Spicy Horse est situé en Chine. Quels sont les avantages et les inconvénients à travailler de là-bas ?
American McGee : Nous vivons une époque de grands changements en Chine. Cela se traduit par un grand optimisme et beaucoup d'expression créative. C'est comme lorsque le mur de Berlin est tombé – soudainement, une partie de la ville jusque-là cachée et opprimée s'est retrouvée exposée aux forces de l'expression et de l'innovation. Aujourd'hui, ce côté de la ville surpasse l'autre en termes de rénovation, d'art et de culture.
S'il y a des inconvénients, je suis ici depuis bien trop longtemps pour m'en inquiéter. L'une des choses que j'ai apprises assez tôt ici est de me montrer flexible. C'est ridicule de penser que ce pays peut se plier à mes attentes ou à mes demandes. N'importe quel inconvénient serait un signe de ma résistance personnelle face à quelque chose que je ne peux pas changer. C'est plus facile de changer soi-même que d'attendre que la nature d'un pays ou d'une culture change pour vous.
jeuxvideo.com > Vos récentes remarques à propos du marketing d'EA pour Alice : Retour au Pays de la Folie ont fait beaucoup de vagues sur Internet. Vous avez globalement accusé EA d'avoir trompé les joueurs concernant le ton réel du jeu. Vous avez ensuite réagi pour vous excuser et avez retiré les mots employés. A quoi bon s'excuser si EA a en effet donné une fausse image de votre jeu ?
American McGee : Cela a fait pas mal de news, n'est-ce pas ? Mon objectif était de clarifier ce que j'avais dit en remplaçant le mot "trompé" par une définition plus spécifique du marketing comme "obtenir la réponse souhaitée du consommateur".
Nous vivons une existence artificielle entourée de simulacres. Même la réponse d'EA est une construction de la réalité que nous nous sommes nous-mêmes tissée. Une réalité dans laquelle nous sommes piégés et dont nous ne nous échapperons vraisemblablement pas sans créer un nouveau portail pour accéder à une nouvelle réalité (les jeux pourraient offrir cette possibilité) ou à travers la destruction générée par la simulation qui nous aveugle face aux externalités que nous déversons sur notre environnement. Tout cela va bien plus loin que la façon dont est vendu un jeu – cela descend jusqu'aux fondements de la façon dont nos vies sont dépeintes par les entreprises qui définissent notre existence. La mauvaise image d'une image contenue dans la simulation ? En voilà un terrier de lapin.
jeuxvideo.com > Considéreriez-vous travailler de nouveau avec un grand éditeur ? Si oui, sous quelles conditions ?
American McGee : Je considérerais toutes les options.
jeuxvideo.com > Merci.
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Par lpd11, Rédacteur en chef de lpd11.free.fr |
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